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Le djembé

Le djembé

Le mot djembé signifie "tambour" en bambara, la langue principale des communautés maliennes (ou "mandingues"). Il désigne un tambour digital (joué avec les doigts) dont la forme du fût s'inspire du mortier de ces régions d'Afrique de l'Ouest (dont la tradition culinaire est de piler les graines juste avant consommation), avec un trou qui le traverse de part en part (pour que l'air s'échappe, et donc, le son). Pour les musiciens mandingues, spécialisés (la pratique musicale n'est pas amateure ici, traditionnellement, ce qui démontre son importance sociale et sa sophistication musicale), et dont le rôle souvent sacré est lié à des rites symboliques et des événements sociaux, le djembé représente par ses matériaux déjà, tous les éléments principaux de l'univers: le bois pour le végétal, la peau pour l'animal, le fer pour le minéral (l'air est finalement le son lui-même, tout comme l'âme, l'émotion, le corps et l'esprit du joueur se transmet dans l'instrument, comme pour toute autre interprétation humaine de la musique, d'ailleurs).

Le haut du fût a une forme ovoïde tronquée, et le bas, la forme d'un cône tronqué (diamètre du bord de peau: de 7 à 16 pouces). Cette forme complexe (on dit aussi "caliciforme", ce qui est peu précis, car désigne aussi la forme des darboukas proches-orientales, qui peut être sensiblement différente), implique une amélioration de la tessiture (amplitude entre la note la plus grave et la plus aiguë), en accentuant les aigus près du bord et les graves près du centre un peu comme le fait une harpe ou un piano. Le djembé est d'ailleurs sûrement le tambour à la plus grande tessiture au monde (souvent de grande taille), ce qui en fait un instrument idéal pour le solo, à lui tout seul (rares sont les musiciens qui éprouvent la nécessité de jouer sur plusieurs djembés en même temps, contrairement aux congas ou à la batterie moderne par exemple). Sa forme est très proche de celle des darboukas arabes qui sont, elles, en terre cuite (au Maghreb, proche d'un vase percé et retourné, avec des courbes liées), en métal (ou "Doumbek", en Turquie), ou en bois avec peau clouée ("Zarb" persan).

Le fût du djembé est taillé à la main dans une seule pièce de bois (un tronc d'arbre, dans le sens du fil), et parfois des bas reliefs décoratifs sont sculptés sur son pourtour. Les bois utilisés sont des bois africains rouges (ferrugineux (oxyde de fer=rouille, présente dans la terre argileuse), ce qui leur confère certainement aussi leur sonorité "brillante") de type acajou ("djala" (très rouge, acajou véritable, utilisé aussi pour les meubles pour son esthétique splendide), "lingué" (rouge orangé, moins dense, plus courant), "dugura" (brun, très dense et rare), ou "Guéni" (brun avec veinage contrasté, utilisé pour les lames de balafon, sorte de xylophone mandingue)). Ils sont si denses qu'ils sont imputrescibles sans nécessiter de traitement: les djembés traditionnels ne sont pas vernis, juste séchés, poncés et graissés (au beurre de karité, à la cire d'abeille voire l'huile de lin, une bonne protection contre les variations d'humidité et de température). Outre une grande robustesse, cela lui confère d'excellentes qualités de résonance et de réponse, tout en gardant une matité du son, une richesse de timbre (facilitant la différenciation des types de frappes), un équilibre exceptionnel entre rondeur et sécheresse (l'équilibre et la richesse (complexité de forme) sont d'ailleurs à mon avis les attributs des matériaux organiques et laissés presque bruts).

La peau (une peau de chèvre rasée, anciennement d'antilope, espèce protégée aujourd'hui) est tendue par deux cercles forgés de fer cylindriques enveloppés de tissu (en coton teinté), grâce à des cordages (en coton ou en nylon, plus récemment). Les cercles, de taille identique et ajustés l'un à l'autre, doivent enserrer la peau comme une mâchoire. Un système ingénieux de tressage de la corde de tension, ainsi qu'un grand nombre de tirants (une vingtaine pour les plus petits djembés (pour enfant) à une trentaine pour les plus grands), permet une tension très importante, bien qu'uniquement obtenue grâce à la force manuelle.

Remonter

Certains djembés contemporains sont munis de tirants métalliques, ce qui, si le fût et la peau gardaient toutes les caractéristiques traditionnelles (matériau, forme, façonnage), n'altèreraient pas le son. Mais en général ces fûts sont aussi "usinés" par des machines, assemblés en lattes collées (technique française de tonnellerie à l'origine à Cuba), comme les congas et bongos, et vernis, ce qui donne un son plus pur, sec et cristallin. C'est pourquoi je recommande les djembés traditionnels, ce qui va de pair avec la perpétuation d'une pratique artisanale originale (et qui varie aussi légèrement d'une région à l'autre: les djembés sénégalais ont un pied qui s'évase en bas, par exemple, et les maliens ont un pied presque cylindrique ou conique tronqué). La seule innovation que je conseille et qui est assez couramment utilisée par les professionnels, est de remplacer les cordes en coton, plus fragiles, par des cordes de même épaisseur, en nylon (observez bien le tressage de la corde d'origine avant de le faire). Certains utilisent des cordes modernes pré-étirées d'alpinisme (généralement en nylon, justement).

Comme pour toutes les peaux naturelles, poreuses, le montage (positionnement sur le fût, avec les cercles, sans tension) se fait après avoir trempée la peau (voire nettoyée, mais ne pas la laisser tremper plus de quelques heures, sinon elle risque de pourrir). Une fois séchée, la pression pourra être importante sans que la pince entre les deux cercles ne l'abîme ou la fasse glisser. Il ne restera plus, après installation et tressage (tension) des cordages, qu'à raser les poils de chèvre avec une lame de rasoir positionnée perpendiculairement à la peau, si nécessaire (on peut éviter de raser les poils qui dépassent du cercle, pour servir de protection aux mains contre les chocs éventuels sur les tirants), voire découper cette dernière suivant le pourtour avec des ciseaux. La peau du djembé est donc un élément très sensible aux variations d'humidité et de température de l'air (contrairement à celle des congas, qui est huilée). Originellement conçue pour un climat chaud et sec, et le jeu avec doigts, il convient d'y faire très attention en ne l'exposant ni à de l'eau, ni à des baguettes (destruction presque assurée). Pour enlever son humidité avant de jouer (ce qui donne une sonorité plus claire et sèche: la peau vibre mieux), on place le djembé devant un feu de bois (pas trop près) traditionnellement, mais un chauffage électrique peut faire l'affaire (attention à l'excès de tension qui peut alors faire rompre la peau).

Un bon fût de djembé, la partie la plus importante du tambour, ne doit pas être fendu, et posséder une tranche supérieure (en contact avec la peau) bien arrondie à tous les niveaux (bien circulaire pour une tension équilibrée, et bien arrondie de l'horizontale à la verticale, pour permettre à la peau de glisser sur le fût pour être tendue, et de frapper le bord sans se blesser).

Remonter

On peut jouer assis, le djembé posé entre les jambes (qui peuvent être croisées), légèrement penché en avant, ou debout, à l'aide d'une sangle passée autour de la taille et des deux épaules, le fût entre les jambes écartées.

La position du corps doit être bien droite et symétrique, à l'image des techniques de jeu. Certains djembéfolas ajoutent des plaques de métal annelées autour du fût ("sessés"), pour donner un son continu de "crécelle" à chaque coup, même piano, et accentuer ainsi un effet de nombre.

Le "djembéfola", est un maître dans l'art de jouer du djembé. C'est celui qui joue les chorus improvisés et fortissimo, de la polyrythmie, mais c'est aussi souvent un soliste qui a la capacité d'imiter toute la section polyrythmique mandingue à lui tout seul, en jouant une phrase de base d'accompagnement en continu, "piano", et en intercalant des accents, voire des phrases entières de solos, "fortissimo", tout en jouant les parties de phrase de base correspondantes dans les silences du solo (illusion de deux voix). Sa phrase de base peut même être un mélange de figure de djembé et de dununs (écouter Mamady Keita ou Inza Diabaté, par exemple, qui ont sans doute été poussés dans cet art par l'accompagnement de voix ou Kora (sorte de harpe africaine), un peu comme le pandeiro vis à vis de la voix et la guitare, au Brésil).

Les techniques de frappe du djembé, très élaborées, sont a priori aussi infinies que le nombre de positions de la main et des doigts.

Il existe traditionnellement quatre types de frappe principaux: (dans les figures d'accompagnement, il est important d'être régulier et symétrique dans sa manière de frapper, pour donner un caractère abstrait et géométrique, propre à toutes les musiques de par le monde).

1: le coup piano (aigu) :
Le djembé le coup piano (aigu)
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Un coup normal des doigts, près du bord, léger, qui permet de donner un débit continu en frisé (alternance régulière main droite, main gauche), et l'illusion d'une première voix, en fond. Cette frappe est subsidiaire, surtout si le groupe est constitué de nombreux joueurs de djembé. C'est en revanche une technique très employée par les djembés folas (solos).
2: le claqué (coup aigu "fortissimo", "slap" en anglais) :
Le djembé le claqué (aigu "fortissimo", "slap" en anglais)
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Un coup puissant, en frappant le bord du fût avec la paume et en laissant les doigts, souples, projeter leurs extrémités contre la peau (proche du claqué de congas, le claqué de djembé se fait les doigts bien droits et serrés, dans le prolongement de la main, et en laissant rebondir et résonner, car à cet endroit de la frappe, proche du bord, la tonalité est de toute façon aiguë et sèche).
3: le coup medium résonnant (ou "tonique", "open tone" en anglais) :
Le djembé le coup medium résonnant (ou "tonique", "open tone" en anglais)
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On l'obtient en frappant avec toute la surface des doigts joints, à un tiers de distance du bord (l'endroit le plus résonant mais pas le plus grave, compte tenu de la forme évasée du fût).
4: le coup grave étouffé (basse) :
Le djembé le coup grave étouffé (basse)
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Obtenu grâce à une frappe de toute la main à plat, au centre de la peau. Frappe la plus grave mais pas la plus résonante car les vibrations, équidistantes du bord, rebondissent entre elles et s'annulent.

Certains djembé folas, utilisent des frappes étouffées (en plaquant les doigts ou la main ou en retenant le rebond), pour agrémenter leur discours. Il faut aussi savoir que le djembé propose un nombre presque infini de tonalité suivant que l'on se rapproche du centre de la peau ou pas, un peu comme une corde de violon, suivant l'endroit où on la presse.


La phrase de base du djembé, que l'on retrouve presque dans toutes les polyrythmies binaires mandingues est vulgairement appelée la "biguine", et se retrouve sous diverses formes dans toutes les musiques d'origine africaine (rumba, samba, calypso, musique arabe, andalouse, musique créole, etc...). Elle est très proche du rythme des "bongos" cubains et marque les temps par des notes aiguës (claqués):

Ta - - kata - dougou

(ta = claqué main droite, ka = claqué main gauche; dou = tonique main droite, gou = tonique main gauche ; - = silence.).

Cette façon de marquer les temps par les notes aiguës, qui donne l'impression que l'on joue "en l'air", est un autre trait commun à toutes les musiques d'inspiration africaine, opposées aux musiques européennes et asiatiques, qui marquent, à l'inverse, généralement les débuts de mesure par les instruments et notes graves (contrebasse, basse, grosse caisse, hélicon, etc...).

Chaque polyrythmie mandingue possède aussi une deuxième voix différente (phrase d'accompagnement) pour les djembés, en plus d'une phrase différente par dununs et par cloche (3 chacun). C'est sur cette base d'accompagnement que le soliste improvise des chorus.

En principe, chaque instrumentiste du groupe est sensé exécuter son solo à tour de rôle, ce qui donne un Remonter caractère très "démocratique" à ce type de musique. C'est un principe que l'on retrouve dans toutes les musiques d'inspiration africaine, en jazz et parfois même en rock ou en pop music.

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