La culture mandingue ou malinké, est issue d'un des peuples les plus anciens du monde (on trouve des traces préhistoriques très anciennes). C'est pourquoi, et en plus du fait qu'elle a développée une tradition orale très forte jusqu'à aujourd'hui, il est sans doute assez difficile de dater et de situer l'émergence des musiques qui s'étendent aujourd'hui sur les régions et ethnies du Mali, de la Guinée, du Burkina-Faso, de la Côte d'Ivoire, du Ghana, de la Sierra Leone, du Sénégal, etc.
La récurrence de certains rythmes (comme le rythme de base du djembé, quelque soit la polyrythmie) et la technique très rudimentaire de fabrication des instruments (tronc d'arbre creusé et taillé grossièrement à la main pour les fûts, cordage et peau de chèvre rasée, fer forgé pour cloches et cercles) laisse à penser que ses bases ont très peu bougées depuis un temps immémorial (peut-être des millénaires?).Cela témoigne d'une culture où la notion de perpétuation joue un rôle prédominant, contrairement à beaucoup de sociétés qui ont optées pour le progrès et le changement culturel constant (la "mode"), comme en Europe ou en Asie par exemple.
Outre que de nous donner une image presque intacte de formes du passé depuis longtemps tombées dans l'oubli dans nos sociétés, elles nous apprennent, quand on les étudient de près, à relativiser la notion de progrès, tant leur richesse et leur particularisme est grand par rapport à nos connaissances musicales européennes, et tant leur abord aussi bien gestuel qu'intellectuel répond à des exigences différentes mais qui n'ont rien à envier aux canons européens, qui se prétendent pourtant issus d'une évolution et d'une accumulation de savoirs et de talents séculaires. En effet, la pratique percussive européeenne utilisant presque exclusivement des baguettes, a depuis longtemps oubliée comment se servir des différentes positions de la main pour faire sortir une gamme presque infinie de timbres et de notes à partir d'un même tambour. De plus, avec le développement quasi-exclusif de la complexité harmonique et polyphonique, la musique européenne a perdu la complexité polyrythmique et le sens de l'improvisation (que les Etats-Unis ont retrouvés avec le jazz et le blues des anciens esclaves d'origine africaine). Certains musiciens essaient aujourd'hui de retrouver cette richesse perdue dans la tentative de reconstitution d'une pratique authentique de la musique baroque et médiévale européenne (c'est aujourd'hui déjà plus proche d'un travail archéologique que d'un travail de perpétuation!).
C'est ce qui me fait penser, personnellement, mais cela n'engage que mon intuition de praticien, que comme dans beaucoup de formes artistiques traditionnelles, même si une forme de base reste inchangée, dans le détail se développe une réelle évolution et recherche, issues du travail assidu de grands virtuoses spécialisés dans leur art et transmettant leurs trouvailles aux générations futures.
Pour avoir analysé et cherché à retranscrire note pour note en solfège classique européen, des solos de morceaux entiers de Mamady Keita, et de morceaux de percussions dans tous les styles, je retrouve chez Mamady la marque des plus grands qui consiste à présenter des formes (mêmes si peu nombreuses) inouïes et non vues (sous forme écrite), si bien qu'on peut dire qu'elles leur sont propres et qu'ils les ont inventées (ce qui les définit comme véritables artistes, car créateurs, et non simples "techniciens" reproducteurs).
Il est intéressant de remarquer aussi que certains rythmes se retrouvent dans les musiques percussives cubaines (cascara, biguine, nanigo, par exemple).
Dans son ouvrage à la fois géographique, ethnologique, historique et musical (grâce à des partitions personnalisées) écrit en collaboration avec la professeur de musique allemande Ushi Billmeier ("Mamady Keita, une vie pour le djembé", Arun, 1999), Mamady insiste sur l'importance du contexte social associé aux différentes polyrythmies. On pourrait associer cette préoccupation à un sens du "sacré" ou alors à un désir de mémoire des origines des musiques, dans nos pays où la musique est devenu un domaine isolé se suffisant à lui-même, où même les musiques étrangères doivent intervenir dans ce même cadre devenu normatif, plus que libérateur.
Pour ma part, je considère qu'il est bon de chercher à intégrer et métisser des formes musicales et des instruments étrangers, sans les mettre pour autant dans des "musées" et je préfère me borner à constater avec regret que presque uniquement chez les mandingues, la musique est présente partout, même dans les tâches les plus banales du pilage du mil ou de la moisson, donnant du coeur à l'ouvrage et justifiant une participation de tous. La pratique de la musique et de la danse au coeur de la vie de chaque citoyen: vaste programme, proche de l'utopie pour nos "sociétés spectacles"!
L'engouement d'un nombre de plus en plus croissant de jeunes européens pour le djembé témoigne pour moi à la fois d'un désir d'authenticité, d'écologie, de refus du progrès à outrance, d'une volonté de devenir acteur de l'art et non plus seulement spectateur, pour le plaisir et non pour un salaire, d'une remise en valeur de l'artisanat et d'une implication plus physique et sensitive, dans un siècle qui meurt de confort et d'intellectualisme.
Personnellement, ce sont sûrement ces raisons qui me poussèrent intuitivement à acheter mon premier instrument de percussion, un djembé pour enfant, au marché aux puces, il y a plus de 15 ans, et à en jouer d'abord plusieurs années en autodidacte, pour le plaisir de la découverte, de la confrontation physique et sensorielle avec les "éléments".
L'attirance des cultures du nord pour la culture africaine n'est aujourd'hui pas seulement pour moi une alternative, elle est devenue la suite logique, l'élément manquant et oublié car depuis trop longtemps mis de côté, du puzzle de l'histoire musicale occidentale.
Le mariage du djembé et des instruments modernes devient de plus en plus une évidence au jour d'aujourd'hui, et c'est peut-être même la solution à un divorce qui a duré depuis trop longtemps entre nord et sud, et qui finira par nous détruire tous, si les choses continuent dans le sens du protectionnisme et de la surexploitation, guidé par une vision égocentrique arrogante qui a mille fois démontré sa stérilité et son injustice.
Marc de Douvan, octobre 2005.
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