La samba est un polyrythme et une danse associée (le mot " samba " vient du mot africain " semba " qui veut dire " coup de nombril " en Bantou), sur une mesure globale à 2 temps (2/4), scandée par deux surdos (gros tambour joué par une batte), le surdo aigu marquant les temps forts (les premiers) et le grave, les faibles (les deuxièmes), ce qui est typiquement africain (l'inverse du rock et de la batterie européenne en général). Certains instruments ont une figure de base cyclique à 1 temps (4 coups ou 4 doubles croches avec accent sur les temps) comme les shakers (ganza, chocalho, etc.), le reco-reco ou le triangle, mais la plupart ont une phrase de base à 4 temps voire 8 (apito (sifflet)).
A écouter : Extrait audio interactif à 15 voix
Notez que la samba possède un pas de danse de tradition africaine, très courant, mais se danse en chaussures à hauts talons, pour profiter du glissement des semelles en cuir sur un sol lisse (parquet, asphalte, ce qui décuple l'efficacité et la vitesse (un pas par double croche!): voir photo: Gracyanne Barbosa, reine de carnaval de l'école de samba Mangueira au carnaval de Rio 2008, faisant ce pas de danse au déhanché si typique) : une hybridation culturelle d'une simplicité et d'une efficacité géniale, à mon avis, qui associe deux fois deux extrêmes culturelles (Europe et Afrique, invention récente (moins d'un siècle pour le talon aiguille) et des plus anciennes (pieds nus !)).
La samba est aussi certainement une des plus anciennes formes musicales typiquement brésilienne, grâce à un métissage afro-amérindo-portuguais (malheureusement souvent forcé par les colonisateurs et maîtres esclavagistes, pour anéantir les communautarismes et identités culturelles spécifiques et multiples, des esclaves et autres classes sociales pauvres du Brésil, et ainsi, les réunions et nationalismes dissidents qui pouvaient s'ensuivre).
La forme, les rythmes, techniques de jeu et mélodies furent sûrement classisées par un long processus spontané et issu d'une pratique amateur destinée d'abord à perpétuer la culture africaine dans des cercles secrets voire rebelles (capoeira, afoxe, maracatu, etc.), puis dévolue presque exclusivement au carnaval, avec prêt d'un siècle de pratique pour atteindre à mon avis une apogée dans les années 1950, dont le chef "Mestre André" (l'inventeur du "break" d'arrêt et redémarrage rapide de batucada) et l'école (dans le sens de " doctrine artistique ") de samba "Mocidade Independente de Padre Miguel" sont sûrement les plus emblématiques, virtuoses et créatifs (mais on date souvent l'apparition de la samba aux années 1920, avec les premiers carnavals officialisés).
Concentrée surtout à Rio de Janeiro, dans ses favelas (quartiers pauvres, " bidonville ", qui existe malheureusement encore aujourd'hui), cette musique brésilienne possède une sophistication jamais atteinte historiquement, à ma connaissance (et j'ai étudié beaucoup de polyrythmes traditionnels du monde entier et de l'histoire entière (connue)), sur le plan polyrythmique, c'est-à-dire du nombre de voix rythmiques différentes pouvant se superposer en même temps.
En effet, non seulement chaque instrument possède une figure de base différente des autres, mais en plus, chaque musicien du groupe (qui peut réunir couramment plus de cent musiciens défilant ensemble, au carnaval de Rio) est sensé improviser !
Si le résultat n'est pas cacophonique, c'est grâce à une hiérarchisation très ingénieuse des figures de base suivant le timbre, la puissance, les contraintes de jeu et la hauteur naturelle des instruments utilisés, mais aussi par un système de limitation de l'improvisation, qui hiérarchise, après la figure de base, des " variations courantes ", différentes pour chaque instruments, voire des variations secondaires ou tertiaires, qui varient juste de quelques notes et se complètent les unes les autres, pour reformer une nouvelle phrase de base, somme des précédentes et également bien pensées. L'improvisation ici se limite plus à un choix qu'à une réelle invention personnelle.
C'est pourquoi il m'a paru intéressant de présenter la samba en exploitant deux spécificités d'Internet : le multimédia et l'interactivité.
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En effet, vous allez pouvoir choisir les instruments et rythmes que vous désirez entendre, simplement en cochant au préalable les cases correspondantes avec un clic de souris, puis en lançant le morceau (qui dure seulement 8 mesures 4/4 (à 4 temps), sans compter la figure de démarrage, qui dure une mesure).
Vous pouvez tout simplement choisir un seul instrument pour l'isoler du reste (sinon, il est parfois inaudible, vu la qualité sonore, qui ne peut égaler la réalité).
Vous pouvez aussi choisir de tout sélectionner (15 voix et 14 instruments différents). Seul le tamborim est en double car il possède classiquement deux figures de bases complémentaires dont la deuxième est identique à la première mais décalée (sûrement inspirée par un accident).
Je donne également un exemple de batucada de rue (de " enredo ", défilé, carnaval) complète, en supprimant juste les deux instruments les moins sonores, et donc moins employés dans ce contexte (pandeiro (tambourin avec cymbalettes) et triangle).
Je propose aussi 2 exemples typiques (absolument pas limitatifs) de formations réduites harmonisées, avec des instruments adaptés à la diminution du volume sonore ainsi induit.
Le "pagode" désigne une musique conviviale, jouée traditionnellement pendant ou après un repas, dans un café ou sur la plage, et donc avec des instruments à faible volume sonore pour ne pas masquer la voix du chanteur ou le son des guitares acoustiques, et pouvant se jouer assis. Cela donne une couleur très particulière, intimiste, si propre au cabaret et aux chansons sentimentales et mélancoliques, qui inspirèrent sûrement la " bossa-nova " des années 1960.
L'avantage de l'interactivité, enfin, est qu'elle permet des milliers de combinaisons de voix différentes, qu'il aurait été impossible de présenter une par une, sans cela. C'est de plus une manière très fréquente d'arranger la musique brésilienne, un peu comme si on piochait parmi des ingrédients déjà sophistiqués pour composer une recette définitive.
Marc de Douvan, février 2006.
Note d'octobre 2011:
Ces enregistrements audio sont joués par moi-même à un tempo relativement lent pour la samba, qui se joue généralement très vite (contrairement à la Bossa Nova). Les techniques spécifiques induites en tempo rapide (rebonds multiples notamment pour le repinique, etc.) impose un "swing" très spécifique aussi, appelé "suingue" au Brésil, qui consiste (à l'inverse du swing du blues ou du jazz des Etats-Unis), à accélérer à chaque temps puis ralentir avant le temps (le chabada commence sur le premier coup avec le répinique à une baguette, en samba, et sur le 3ème, en jazz, en syncope). C'est ce qu'on appelle vulgairement jouer "en poussant" (qui donne une sensation dynamisante et de légèreté), à l'inverse du jeu rock ou blues "au fond du temps" (qui donne une sensation de "casse jambe" et de lourdeur). Ecoutez ma démonstration de variation courante du tamborim ou celle du répinique en tempo rapide à la description des instruments de percussion brésiliens, pour avoir une démonstration du suingue brésilien à un tempo typique d'une samba du carnaval de Rio. C'est un jeu difficile à saisir d'oreille compte tenu du tempo et de sa finesse rythmique, et cela se sent plus avec la pratique, qui est très longue sur un seul instrument et avec un seul rythme généralement, dans les écoles de samba du Brésil. Tout cela explique aussi que dans le métissage "jazz samba" (avec Stan Getz en premier lieu et son album éponyme de 1962) les rythmes brésiliens, joués lentement et par des batteurs modernes américains (du nord), sont exécutés sans aucun swing, ce qui est devenu typique de ce style et en bossa nova, même au Brésil (aussi pour les raisons de technique gestuelle évoquées plus haut, mais rien n'empêche d'imiter le swing du tempo rapide en tempo lent (ardu et assez déstabilisant pour les danseurs (sensation d'accélération en tempo lent), mais courant en "pagode")). Si cette démonstration est en tempo (relativement) lent et sans swing, c'est aussi pour des raisons pédagogiques, pour se concentrer d'abord sur les structures rythmiques générales, la polyrythmie (le placement des instruments les uns par rapport aux autres) et les gestes, avant de commencer à jouer plus vite en essayant d'intégrer du swing brésilien et des rebonds de baguette.
Cette composition est issue de ma pratique au sein du groupe de percussions de carnaval semi-professionnel franco-brésilien Aquarela de Paris (de 1993 à 1997). Elle peut dévier de certains "académismes" actuels, mais chaque école de samba (groupe de carnaval) au Brésil possède ses propres compositions, voire techniques de jeu, même si des points communs existent, et cela peut changer chaque année (ou du moins évoluer légèrement). Il n'en reste pas moins que cette version de la samba d'Aquarela (dirigée à l'époque par Denis Julien, son premier chef) est très inspirée de ce qui pour moi est son représentant le plus sophistiqué et virtuose musicalement: l'école de samba de Rio de Janiero "Mocidade Independente de Padre Miguel".
Marc De Douvan
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