La batterie ("drums" en anglais, ce qui veut dire "tambours") contemporaine, aussi appelée "batterie de jazz" ("drumset" pour désigner un groupe de tambours joué par un seul instrumentiste, ou "trap drums", pour désigner l'emploi de pédales ), est apparue au début du XXème siècle aux Etats-Unis d'Amérique. Néanmoins, on peut déjà voir des prémisses de cet instrument avec l'apparition de "l'homme orchestre" à la fin du moyen-âge en Europe, qui se servait d'une grosse caisse attachée dans le dos et d'une batte fixée à un axe de rotation et actionnée par une ficelle attachée à un pied.
La pédale de grosse caisse apparaît vers le début du XXème siècle et la pédale de charleston ("High-hat" ou "hi-hat" en anglais) apparaît dans les années 20 avec les premiers big-bands assis qui jouaient sur les bateaux à aube dansant de la Nouvelle-Orléans, berceau du jazz et du blues.
En fait, pour comprendre la batterie, il faut d'abord savoir que tous les instruments qui la composent, si on exclut toutes les extensions, pédales et pieds, qui ne sont là que pour aider à les utiliser, et qui sont les seules véritables inventions qui font de la batterie un instrument moderne, sont des instruments dont l'origine remonte à l'aube de l'humanité (comme la plupart des instruments de percussion d'ailleurs).
On trouve des représentations de tambours et cymbales parmi les plus anciennes sculptures (bas-reliefs assyriens (photo: palais d'Assurbanipal à Ninive, 7ème siècle av. J.-C.) ou grecs) ou peintures (tombes égyptiennes, romaines (Pompei), longtemps à l'abri de la lumière) antiques, ce qui laisse supposer une présence encore antérieure. Le mot "tambour", a une origine orientale, et même le timbre de la caisse claire ("snare drum" en anglais) se retrouve sur les tambourins marocains (sous la forme d'un boyau séché, comme pour les tambours militaires européens jusqu'au siècle dernier) les "bendirs". Le tambourin (cylindre en bois de faible hauteur avec une seule peau) se retrouve sous diverses formes dans les cultures traditionnelles les plus anciennes du monde entier, ce qui laisse encore imaginer que c'est un des plus anciens instruments de percussion.
On a retrouvé des cymbales en bronze de forme turque (la forme la plus employée en jazz et en rock) mais de petite taille, dans d'antiques tombes grecques. Les grecs antiques croyaient qu'elles avaient le pouvoir d'éloigner les mauvais esprits, mais on retrouve aussi beaucoup de représentations qui les font figurer dans les fêtes et les banquets, où une danseuse (en équilibre sur un pied) joue des cymbales.
Ce n'est sans doute que plus tardivement, avec des cymbales à plus grand format, qu'on les utilise à des fins militaires, comme tous les instruments les plus puissants d'ailleurs (tambours, timbales, cornes de brume, cornemuses, trompettes et cors en cuivre, etc.), pour relayer des ordres jusqu'au bout du champ de bataille, pousser à la marche des soldats (d'où le mot de "marches" pour les compositions de musique martiale), ou tout simplement effrayer l'ennemi (comme l'usage des cymbales chez les janissaires ottomans (photo) qui devint tardivement à la mode en Europe, par leur intermédiaire).
L'enseignement de la batterie au Conservatoire National Supérieur de Paris se fait encore à partir de ce qui pourrait constituer son âge d'or: celui de la batterie militaire napoléonienne (Méthode R. Tourte, "Le Rigodon d'honneur", divertissement des "Grognards" dans leur camp, "Batterie d'Austerlitz", "Marche des éclopés" ("La Boiteuse"), par exemple), qui coïncide avec le maximum de sophistication des formations et mouvements de fantassins, que l'on ne retrouve plus aujourd'hui que pour le "spectacle", dans certains défilés militaires ou d'Ecole (surtout dans les écoles américaines d'ailleurs). C'est une tradition qui n'existe quasiment plus en France, qui comptait presque une fanfare municipale par commune à l'époque napoléonienne, et l'on y voyait là l'occasion d'une pratique populaire de la musique avec un caractère national et convivial, au même titre que la Samba, au Brésil, aujourd'hui, par exemple.
Au début du XIX ème siècle, aux Etats-Unis d'Amérique nouvellement indépendants, avec le départ des militaires français de la Nouvelle-Orléans (vente de la colonie française de Louisiane par Napoléon Bonaparte en 1803), ce sont tous les instruments de musique militaire, jugés trop encombrant pour les bateaux, qui sont bradés voire abandonnés. Les populations d'esclaves noirs d'origine africaine, massées dans le travail ingrat des champs de coton et à qui l'on interdit presque tout, même la pratique des instruments de musique symphoniques européens, y voient une occasion inespérée de retrouver la pratique musicale de leurs ancêtres, basée sur l'improvisation et la polyrythmie, tout en rentrant dans un cadre culturel compositionnel et instrumental "convenable" pour les esclavagistes blancs, car de culture européenne (batterie et marches militaires, avec rudiments français comme le "ra" ou le "coup coulé").
C'est ainsi que naissent les "Brass Bands" (ou "Marching bands") et le style "New-Orleans", pour les cérémonies d'enterrement d'abord, puis le carnaval (qui était autorisé depuis les colonies françaises, appelé encore "Mardi Gras" comme en France, avec probablement une transmission culturelle française comme le montrent les rudiments français spécifiques courants dans le jazz Nouvelle-Orléans, mais pas dans les rudiments officiels américains de la National Association of Rudimental Drummers, de 1933), les bals et les mariages pour finalement "s'asseoir" sur le pont des "bateaux à aubes", dans les "dancings", les "maisons closes", les bars, restaurants et cabarets, pour devenir le "jazz" que l'on connaît. A cette époque (XIXème Siècle), apparait la pratique du "double drumming": par souci d'économie, la grosse caisse et les cymbales étaient jouées par un seul musicien, une cymbale étant attachée à la grosse caisse (voir photo). On peut considérer que c'est la première étape de la constitution de la "batterie moderne", avec le premier jeu en indépendance (deux instruments de percussion différents jouées en accord (unisson) ou non (en polyrythmie), par un seul musicien) mais il ne faut pas oublier que c'est une pratique ancestrale (indatable à cause de la tradition orale et l'usage d'instruments détournés: mortier pour les tambours, et cloches pour bétail), en percussion mandingue avec les dununs et les kenkens (voir photo ci-dessous du groupe "Djoliba" en 1981, avec le célèbre djembéfola (joueur de djembé) guinéen Mamady Keïta (au centre), gardien d'une tradition séculaire).
On peut se demander si certaines phrases virtuoses de "double drummer", encore jouées aujourd'hui à la Nouvelle-Orléans et transmises aussi oralement, ne sont pas directement issues de leurs ancêtres africains déportés, et ne furent pas jouées d'abord en secret dans le "bayou", car toute expression de culture africaine a longtemps été prohibée en Amérique. La tradition percussive afro-cubaine est sans doute la plus proche des phrases originelles africaines (comme la "cascara" ou la "clave", reprises telles quelles) et fut intégrée bien plus tard en batterie avec le "latin jazz" de New-York.
Certains historiens pensent que le mot "jazz" viendrait du mot argotique français "jaser", qui pourrait caractériser le dialogue que se livrent les solistes qui improvisent dans le "New Orleans". Le plus célèbre de ces groupes, le premier a enregistrer un disque avec une vraie batterie moderne (en 1923 à Chicago) et qui se revendique comme le premier véritable groupe de jazz, est celui de Joe "King" Oliver (qui joue dès les années 1910): le "King Oliver's Creole Jazz Band" (fondé en 1922), où s'illustrera un certain Louis Armstrong, trompettiste et chanteur alors débutant, et Warren "Baby" Dodds (photo), le premier batteur de jazz enregistré (si on exclut Tony Spargo avec l'Original Dixieland Jass Band qui est pour moi plus un pastiche caricatural joué par des blancs, que du vrai jazz). C'est à cette époque qu'est inventée la pédale de grosse caisse pour réduire le nombre de percussionistes (avec un nombre de versions et inventeurs assez impressionant dès la fin du XIXème siècle, mais c'est sans doute la version de William F. Ludwig de 1909: la "toe operated bass drum pedal" ("pédale de grosse caisse actionnée par la pointe du pied") qui ressemble le plus à celle que l'on connait aujourd'hui, permettant un jeu rapide et puissant, et dont le succès permis pour la première fois sa fabrication industrielle en 1910).
La prohibition des années 1920, permet à la musique noire, appréciée de gangsters richissimes, de trouver des mécènes généreux et de développer les "big bands", où s'épanouissent de grandes sections de cuivres ("Duke" Ellington (avec comme batteur Sony Greer, ou plus tard Louie Bellson (photo ci-dessous), le premier batteur à jouer avec deux grosses caisses), Bill "Count" Basie (avec notamment "Papa" Jo Jones (photo ci-dessus)), "Cab" Calloway, Chick Webb (batteur soliste et chef d'orchestre) en sont les plus célèbres chefs, compositeurs, arrangeurs voire pianistes, qui se produisent dans les non moins célèbres "Cotton club" ou "Savoy" de New York). La notion de "café-concert", où un public d'initié écoute en buvant tranquillement un verre ou en dansant, la musique improvisée, devient indissociable du jazz, dont les "boîtes" et "clubs" sont encore les lieux de concerts des meilleurs solistes actuels.
Les "jam-sessions" où, en deuxième partie de soirée, les mélomanes les plus passionnés peuvent écouter de véritables "joutes" musicales et où les "nouveaux" peuvent essayer de démontrer leur talent accompagné d'un groupe de professionnels, se généralisent comme une "alternative" culturelle et artistique aux écoles et salles de concert de musique "blanche", où l'on se contente généralement juste de transmettre la musique "classisée", académique, figée, du passé européen.
A l'inverse, en Europe, dès les années 1910, des compositeurs révolutionnaires d'avant-garde comme Eric Satie ou Igor Stravinsky, qui ont pourtant reçus une formation académique, s'inspireront largement du jazz et de sa vision polyrythmique et harmonique (ainsi que du folklore européen et russe) afin de tenter de renouveler la musique écrite européenne pour orchestre symphonique. Plus tard, c'est leur musique qui inspirera à son tour Charlie Parker afin de révolutionner le jazz, avec la création du style "Be-Bop". Avec l'apparition du disque et de la radio, les idées musicales circulent plus vite que jamais et la partition et le solfège ne sont plus les passages obligés pour entrer dans "l'Histoire de la Musique".
Dans les années 1930, une dynamique de compétition se développe alors à Chicago, New York ou encore Kansas City, permettant l'émergence de talents et virtuoses époustouflants dans la société noire-américaine, encore écrasée par la ségrégation et la frustration, et qui voit un exutoire et un moyen de s'affirmer dans la musique des cabarets (comme les saxophonistes Lester Young "the President", Coleman Hawkins, Johnny Hodges, qui influencèrent également le jeune Charlie Parker). C'est la période du "swing", cette note de silence ajoutée après chaque temps, pour donner une mesure ternaire à toutes les mélodies populaires.
Des musiciens blancs commencent à imiter (avec brio cette fois) ces musiques issues des quartiers pauvres et à la faire admettre dans les prestigieuses salles de concerts américaines (comme l'orchestre du clarinettiste Benny Goodman, qui fut le premier orchestre de jazz à avoir l'honneur de jouer au "Carnegie Hall" de New York, où l'on joue normalement de la musique symphonique et classique; il existe d'ailleurs un enregistrement de ce concert, où s'illustre un des tous premiers grands virtuoses solistes de la batterie moderne, Gene Krupa (photo), qui atteint des vitesses de frisés (alternance main droite, main gauche) rarement égalées et construit des mélodies sur les toms modernes (dérivés des tom-toms chinois), dont il est l'inventeur). Pendant ce temps, se crée à Paris, le "Jazz manouche", avec le guitariste Django Reinhardt, et le violoniste Stéphane Grappelli, qui se sépare de la batterie et la remplace par une guitare rythmique. C'est dans ces années que la batterie moderne atteint son accomplissement avec l'invention de la pédale de charleston définitive ("high hat" en anglais, commercialisée à partir de 1928) pour le pied gauche, des toms avec tirants à vis précités, munis de pieds et attaches (en 1936) et de la cymbale "splash", fine et petite, pour le jeu avec baguette, encore sous l'impulsion de Gene Krupa (qui collabore avec Avedis Zildjian, en 1930).
C'est dans les années 1940 qu'apparaît la révolution du "be-bop", certainement la forme la plus aboutie et sophistiquée issue de la musique blues, avec Charlie "Bird" Parker au saxophone, "Dizzy" Gillespie et Miles Davis à la trompette, Bud Powell et Thelonious Monk au piano, et Max Roach (photo ci-dessus, qui deviendra un des chefs de file du "free-jazz"), Art Blakey (qui deviendra l'initiateur du "Hard Bop"), Buddy Rich (virtuose qui atteint des vitesses et durées de roulements extraordinaires et sera un des précurseurs du "jazz-rock"), Roy Haynes (qui intègre pour la première fois des phrases complexes et improvisées aux 4 membres et pionnier du "jazz-samba") ou encore Kenny Clarke(photo ci-dessous) à la batterie (considéré comme l'inventeur du style be-bop en batterie, qui consiste à improviser au pied droit à la grosse caisse, dans l'accompagnement (en tenant un "chabada" en indépendance), comme s'il s'agissait de la main gauche, au lieu de marquer le temps). Kenny Clarke est aussi un des premiers à se servir de grandes cymbales turques (qu'on appellera plus tard "ride") pour marquer le chabada, au lieu d'utiliser seulement le charleston ou la caisse claire.
Ce dernier s'installera à Paris où il apportera une grande influence dans le développement du jazz français (avec la prolifération des "boîtes de jazz", notamment). Aujourd'hui encore, l'axe Paris-New York reste l'un des pôles majeurs de l'expression créatrice du jazz (avec des musiciens français comme Daniel Humair (batteur-peintre franco-suisse qui a joué avec Dexter Gordon, Chet Baker, Dave Liebman, Stan Getz, Anthony Braxton, Phil Woods, John Scofield, ...), André Ceccarelli (également batteur de studio, qui a joué avec Dee Dee Bridgewater, Brad Mehldau, Stan Getz, Dexter Gordon et Chick Corea), le percussionniste Mino Cinelu (avec Miles davis, Kennie Barron, Pat Metheny, Dave Holland, Branford Marsalis, Weather Report, Jacky Terrasson et Dizzy Gillespie), Martial Solal (qui a joué avec Peter Erskine), Jean-Luc Ponty (avec notamment Daniel Humair, Thierry Arpino, Gerry Brown et Steve Smith à la batterie), Michel Petrucciani (avec Roy Haynes, Steve Gadd, Lenny White et Omar Hakim), Michel Portal (avec Jack Dejohnette et Horacio Hernandez), Biréli Lagrène (avec Roy Haynes, Dave Weckl et Dennis Chambers) ou Richard Galliano (avec Al Foster).
C'est aussi dans les années 1940, que "Dizzy" Gillespie invente le "Cubop" (première version du "latin-jazz"), en intégrant un percussionniste afro-cubain, Chano Pozo (photo), dans son orchestre Be-bop (avec Kenny Clarke encore, entre autres), initiant ainsi ce qui deviendra la "salsa", dont Ernesto "Tito" Puente deviendra "El Rei" ("le roi" ou le "Mambo King"). Mongo Santamaria et Ray Barretto, anciens congueros de Tito Puente, seront dans les années 1960 les premiers à métisser la salsa avec le rock et le funk, et même la samba brésilienne, préfigurant déjà le "jazz fusion" des années 1970 et plus (mélange de tous les styles américains contemporains).
Dans les années 1950, le "cool jazz", aux harmonies plus sophistiquées et au rythme plus épuré, initié par Miles Davis (avec Kenny Clarke et Max Roach encore, sur le premier album du genre: "Birth of the Cool", en 1949), Chet Baker, Dave Brubeck (avec le batteur Joe Morello (photo), initiateur des mesures asymétriques à la batterie), Bill Evans ou Gil Evans, est en vogue. Le célèbre et mélancolique "Kind of Blue" (1959) de Miles Davis (avec Jimmy Cobb à la batterie), est devenu une sorte de phare du jazz, son plus grand succès discographique populaire.
C'est aussi dans les années 1950 que se développe un courant radicalement différent, à l'opposé de la sophistication des boppers: le rock'n roll. Issu du rythm'n blues (avec Chuck Berry notamment qui est parfois considéré comme le vrai inventeur du style "rock"), version simplifiée, binaire et "martelée" du blues, et de la musique "folk" ou "country", musique populaire des blancs, le rock simplifie encore la base compositionnelle, pour aller vers des interprétations "lancinantes", plus "sauvages" et physiques, mettant plus facilement en transe un public de jeunes ayant soif de liberté, d'indépendance, et de renouveau, au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Des chanteurs comme Elvis Presley ("The King" mais "of rock" cette fois), Fats Domino (inventeur du "slow rock" ternaire), Bill Haley sont les chefs de file de cette musique résolument destinée aux adolescents (et dont Hal Blaine sera un des batteurs de studio les plus demandés). Le rock américain inspirera rapidement la "pop-music" anglaise (dès les années 1960), plus édulcorée (au début) mais néanmoins créative, des "Rolling Stones" (et leur batteur Charlie Watts, de formation jazz, toujours "à la page") et des "Beatles" (et Ringo Starr, batteur au jeu simple mais efficace, osé et recherché), dont le succès et l'impact populaires ne sont ignorés de personne aujourd'hui (les Beatles restent les recordmen historiques de vente de disque tous syles et supports confondus).
Pendant ce temps, d'autres s'ingénient, dans les années 1960, à pousser au maximum de l'audible les solos de jazz (par leur vitesse, leur volubilité et leur complexité tonale), avec ce qu'ils appelleront eux-même le "free-jazz" (John Coltrane, avec son fameux quartette avec Mac Coy Tyner au piano, Jimmy Garrison à la basse et Elvin Jones(photo) à la Batterie, ou encore Ornette Coleman, Don Cherry, Eric Dolphy, Albert Ayler, Anthony Braxton, Sun Ra et Archie Shepp, avec notamment Ed Blackwell et Billy Higgins à la batterie).
C'est aussi dans les années 1960 qu'apparaît le métissage "jazz-samba", en même temps que la "bossa-nova" ("la bosse neuve", autrement dit "nouvelle vague") brésilienne avec Stan Getz, saxophoniste de jazz virtuose américain, Astrud Gilberto, chanteuse brésilienne et son mari Joao, guitariste, Antonio Carlos Jobim, ou encore le compositeur chanteur, guitariste et parolier Vinicius de Moraes, qui s'inspirent tous de la musique du carnaval de Rio pour l'adapter dans des morceaux plus intimistes, à l'échelle des cabarets (notamment avec le batteur-percussionniste brésilien d'origine Airto Moreira (photo), qui prendra une grande part dans les origines du jazz-fusion (aux côtés de Stan Getz, Miles Davis, Chick Corea ou Weather Report) ou encore Roy Haynes, qui initie des rythmes complexes même au pied gauche, sans doute pour imiter le foisonnement polyrythmique de la batucada).
Dans la mouvance rock, des gens comme Jimi Hendrix (et le batteur anglais "Mitch" Mitchell (photo), qui remplit son discours improvisé de "notes fantômes" pianissimo ("ghost notes") tout en maintenant "l'afterbeat" (temps 2 et 4, "fortissimo", joués par la caisse claire), initiant sûrement le "jazz funk" ou "free groove", à la batterie), Carlos Santana (et ses percussionnistes afro-cubains Raul Rekow (congas) et Karl Perazzo (timbales)), Jim Morrison et les "Doors", Janis Joplin ou Joe Cocker incarnent un retour au blues et au jazz du Rock, avec une touche plus "world", voire franchement latine (pour Santana), grâce notamment au célèbre concert en plein air de "Woodstock"(1969) qui réunit un record jamais vu de 500 000 spectateurs, véritable manifestation pacifique et pacifiste de la jeunesse, s'inscrivant dans les mouvements étudiants de mai 1968.
Au festival de l'île de Wight de 1970 (en continuation de Woodstock) s'illustre aussi une nouvelle approche du jazz, plus "world" et plus rock (binaire, "funky", mais aussi afro-cubain et brésilien) avec de jeunes virtuoses comme Chick Corea, Keith Jarrett, Dave Holland et le batteur Jack de Johnette, très polyvalents, qui sont rejoints avec brio par un Miles Davis rajeunissant sans cesse, et s'entourant toujours des plus jeunes talents, comme le précoce Tony Williams (photo), dont il a pu dire qu'à cause de lui, il s'était remis à travailler son instrument, Lenny White ou encore Al Foster à la batterie, mais aussi ceux qui deviendront les chefs de file du "jazz-rock" et du "jazz fusion": Chick Corea et son "Elektric Band" (à partir des années 1980) soutenu un des plus grands virtuoses de l'Histoire de la batterie, le jeune Dave Weckl (à droite sur la photo), Joe Zawinul et Wayne Shorter, fondateurs du groupe "Weather Report", qui accueillit tour à tour les batteurs Peter Erskine, Alex Acunã et Omar Hakim débutants, John Mac Laughlin, guitariste électrique, tous réunis dans un album mythique de Miles de 1969 intitulé "Bitches brew" (littéralement: "bordel"). Citons aussi Steve Gadd (à gauche sur la photo) qui jouera aussi avec Chick Corea et Weather Report et bien d'autres musiciens marquants de la musique pop et jazz à partir des années 1970, avec des figures mélodiques ("linear drumming") bien à lui.
Dans les années 1970, John Mac Laughlin, avec son Mahavishnu Orchestra, avec notamment le fougueux Billy Cobham à la batterie, un des précurseurs du jeu virtuose à la double grosse caisse, puis avec son groupe Shakti et Zakir Hussain, virtuose des tablas (percussions digitales indiennes), élargit encore le métissage originel du jazz à l'Inde et au "funk", mouvance plus "africanisante" de la pop avec son chef de file, le chanteur James Brown (avec John "Jabo" Starks et Clyde Stubblefield(photo) ou Bernard "Pretty" Purdie à la batterie). James Brown avait aussi cherché l'inspiration dans la pop africaine ou "afro-beat" de Fela Anikulapo Kuti et son batteur Tony Allen, lui-même admirateur du "Godfather" de la soul music, quand il se rencontrèrent dans les années 1970. La batterie funk est à l'origine aussi très influencée par le jazz-samba et le latin jazz, à travers "Jabo" Starks et Purdie (rythmes de grosse caisse rappelant les surdos brésiliens, cross-sticks rappelant les rythmes de tamborims et la bossa nova, clave à la caisse claire), ce qui la rend déjà très proche du jazz fusion (qui mélange tous les genres), en plus simplifié. Dennis Chambers, entretiendra cette flamme "jazz-funk", toujours avec John Mac Laughlin, en maîtrisant toutes les subtilités de la batterie funk, jazz et blues, et en les mélangeant avec une aisance rarement atteinte. Un autre batteur de John Mac Laughlin, Trilok Gurtu, un indien, inventera un style de jeu unique, mélangeant percussions digitales et batterie.
Le groupe Led Zeppelin (photo ci-dessus: Robert Plant (voix), Jimmy Page (guitare électrique), John Paul Jones (basse et orgue électriques) John Bonham (batterie)), qui joue avec à la fois une grande violence et une grande virtuosité inaugure le style "hard rock" (Deep Purple (avec le batteur Ian Paice), Van Halen (Alex Van Halen), AC-DC (Phil Rudd), Guns'n Roses (Matt Sorum), etc.), dans les années 1970, qui amènera au "heavy metal rock" ("thrash metal", "speed metal", etc.) qui radicalise encore l'esthétique ultra-violente (Black Sabbath (avec Bill Ward et Vinnie Appice entre autres), Judas Priest (avec notamment Simon Phillips), Motörhead (avec Mikkey Dee entre autres), Iron Maiden (d'inspiration celtique, avec le fulgurant Nicko Mac Brain (photo) à la batterie, de formation jazz), Metallica (avec Lars Ulrich, comme batteur compositeur et leader), etc.), puis au "death metal", qui systématise un débit continu de double grosse caisse, dans les années 1990 (notamment avec Gene Hoglan (batteur de Dark Angel, Death, Strapping Young Lad, etc.), batteur à l'endurance et la vitesse surhumaines avec les pieds, qui a l'idée d'appliquer le moulin militaire au jeu en alternance deux pieds et deux mains). C'est aussi dans les année 1970 qu'apparaissent deux mouvances contradictoires au sein de la pop, un courant plus brutal et rebelle, tout d'abord: la "punk music" (Iggy Pop et les "Stooges" aux Etats-Unis et les "Sex pistols" en Angleterre), et le "rock progressif", plus lyrique voire carrément "classique" dans ses formes générales comme ornementales (Franck Zappa (qui mélange tous les genres musicaux avec Terry Bozzio et Vinnie Colaiuta notamment, incroyables virtuoses de la batterie), King Crimson, Yes et Rick Wakeman (avec Bill Bruford, au jeu très mélodique, avec notamment des pads électroniques), Genesis (avec Phil Collins d'abord batteur et choriste avant de devenir chanteur leader, après le départ de Peter Gabriel), Magma en France (avec le batteur virtuose Christian Vander, leader du groupe), et dans une mouvance plus "pop" (avec des durées de morceaux plus courtes, adaptées au format FM), David Bowie, Pink Floyd, Supertramp, Queen, Journey (Steve Smith), Rush (Neil Peart), Toto (Jeff Porcaro), et plus récemment (fin des années 1980, 1990), Dream Theater (Mike Portnoy (photo ci-dessous), batteur soliste leader), Primus (Tim Alexander) et Angra (Aquiles Priester), avec une consonnance plus "metal").
Dans un courant plus populaire, le "Disco" (appelé ainsi car il est d'abord joué exclusivement dans les discothèques "branchées" et refusé en radio, car jugé trop "brutal" à cause d'une forte présence de la grosse caisse sur chaque temps), va finalement devenir la mode dominante de la fin des années 1970, dans le monde entier, et on peut dire que même si il n'invente pas le genre dans son ensemble, le "son" et la manière de jouer la batterie dans ce contexte du français Marc Cerrone fera école, jusqu'aux récupérations électroniques (boîtes à rythmes) de la House, de la Techno et de la Dance (avec parfois de simples samples, comme chez Bob Sinclar ou les Daft Punk, ce qui constitue aussi un pas vers un retour au son acoustique de la batterie, très peu à la mode dans la pop des années 1980, faisant certainement du tort à pas mal de batteurs professionnels). Citons aussi le chanteur et bassiste de pop Sting, mais de formation jazz, qui joua avec nombre de grands virtuoses de la batterie: Stewart Copeland (dans son premier groupe, "The Police", à la fin des années 1970, qui a renoué récemment (photo)) qui mélange le "reggae" jamaïcain et la pop, Vinnie Colaiuta, maître des mesures asymétriques (grandiose avec Franck Zappa et grand batteur de studio), Omar Hakim (Miles Davis, Weather Report et grand batteur de studio également), ou encore Manu Katché (batteur pianiste, qui s'exprimera magistralement avec le saxophoniste norvégien de jazz Jan Garbarek), pour ne citer qu'eux.
Aujourd'hui, le développement de la batterie virtuose, allant naturellement du plus simple au plus difficile, arrive à sa pleine maturité avec l'accession du pied gauche, membre le moins habile et contrôlable, comme membre virtuose à part entière.
Des batteurs comme Dave Weckl (Chick Corea, Michel Camilo, Aziza Mustafa Zadeh, Madonna, Dave Weckl Band), Terry Bozzio (Frank Zappa, Missing Persons, Jeff Beck, les frères Brecker, Tony Levin (photo), John Petrucci et solo), Simon Phillips (comme leader et avec Judas priest, Toto, Joe Satriani, Dereck Sherinian ou Jeff Beck), Virgil Donati (Frank Gambale, Planet X, Dereck Sherinian), Mike Terrana (Rage, Axel Rudi Pell, Yngwie Malmsteen, Tony Mac Alpine, Kiko Loureiro, Taboo Voodoo) ou Marco Minnemann (Illegal Aliens), dans un style "Fusion" débridé, ou Mike Portnoy (Dream Theater) ou Thomas Lang (John Wetton) en rock progressif, ont poussés à son maximum le jeu de la double grosse caisse ou de la double pédale de grosse caisse (invention des années 1980, avec un bras de transmission pour le pied gauche), à tel point que l'on ne fait quasiment plus de différence entre le jeu des mains, dans la tradition technique de la caisse claire militaire classique, et celui des pieds.
En jazz plus traditionnel, des batteurs comme Roy Haynes (Sonny Rollins, Thelonious Monk, Stan Getz, Chick Corea, Pat Metheny, Michel Petrucciani, Roy Hargrove), Elvin Jones (décédé en 2004, a joué avec Wayne Shorter, Sonny rollins, John Mac Laughlin, Joshua Redman et Pharoa Sanders), Tony Williams (décédé en 1997, a joué avec Miles Davis, Stan Getz, Herbie Hancock, Chick Corea, John Mac Laughlin, Carlos Santana ou Weather Report), Jack de Johnette (qui devient le batteur attitré d'un nouveau grand virtuose du piano, Keith Jarrett (photo), mais joue aussi avec Pat Metheny, John Abercrombie ou Michael Brecker, entre autres), Dennis Chambers (Funkadelic, John Scofield, John Mac Laughlin, Gary Thomas, Brecker Brothers, Tony Mac Alpine, Biréli Lagrène, etc.), Bill Stewart (Pat Metheny, Michael Brecker, John Scofield, etc.), Jeff "Tain" Watts (Branford et Wynton Marsalis, Mac Coy Tyner, Gary Thomas, Terence Blanchard, Kenny Garrett, Michael Brecker, Sonny Rollins) ou la batteuse Terri Lyne Carrington (Herbie Hancock, Diane Reeves, Wayne Shorter, Stan Getz, Pat Metheny, Michael Brecker, John Scofield, Mike Stern, N'Guyen Lê, Gary Thomas, etc.), improvisent littéralement des quatre membres en même temps (dont le pied gauche au charleston).
Dans le style afro-cubain, des batteurs comme Alex Acuña (Weather Report, Chick Corea, John Mac Laughlin, Perez Prado, Tito Puente, Carlos Santana), Horacio "El Negro" Hernandez (Chico et Arturo O'Farrill (Photo), Michel Camilo, Kip Hanrahan, Carlos Santana, Gonzalo Rubalcaba, Roy Hargrove), Akira Jimbo (Casiopea, solo) ou Robby Ameen (Kip Hanrahan, Ruben Blades, Dave Valentin), jouent le rythme complexe de la clave, au pied gauche (avec une cloche montée sur stand et jouée par une pédale de grosse caisse), tout en conservant une totale indépendance des autres membres. Tous ces batteurs ont aussi transmis leur savoir à travers le monde, grâce à des vidéos pédagogiques et sont précurseurs en la matière.
C'est ce qui m'a permis, outre leurs enregistrements studio, leurs partitions et parfois leurs concerts (quand j'ai pu les voir à Paris, comme Jack de Johnette par exemple), de m'initier à leurs techniques et d'intégrer leur pratique, pour développer un jeu tout à fait original, à ma connaissance, avec une phrase complexe, issue d'un instrument de samba, par membre.
Cela m'a aussi été permis grâce à la connaissance des instruments de la batucada, orchestre de percussion du carnaval de Rio, que j'ai pratiqué au sein du groupe parisien Aquarela, dont les membres fondateurs sont tous issus de la première Ecole de Samba créée en Europe, et qui conserve ainsi toute l'authenticité et la richesse des techniques de jeu et des compositions des percussions brésiliennes.
Ma pratique du djembé, des dununs et cloches mandingues, m'a aussi permis de tenter des transpositions de polyrythmes mandingues avec notamment des phrases complexes au pied gauche, ce qui est également une approche toute récente de la batterie contemporaine.
Gageons que cet instrument nous révèlera encore bien des secrets, des univers à explorer et du plaisir à partager.
Marc de Douvan, octobre 2005, corrigé et augmenté en octobre 2011.Sources indicatives: Drummerworld.com (une base de données qui compile des biographies extraites de livres d'expert ou des autobiographies de batteurs présentes sur leur site officiel (en anglais), ainsi que des extraits audio et vidéos judicieusement choisis), Wikipedia.org, "La grande encyclopédie" Larousse, "L'odysée du jazz" de Noël Balen, "Jazz" de John Fordham, "Passeport pour le jazz" de Philippe Adler (qui présentait aussi la seule émission télévisuelle hebdomadaire de concerts de jazz (en intégralité) sur le réseau hertzien, malheureusement disparue: "Jazz 6", qui m'a fait connaître le batteur Horacio Hernandez par exemple, et qui présentait un jazz au sens large, souvent actuel, loin des clichés conservatistes (j'ai heureusement conservé des cassettes vhs de ces émissions et concerts, parfois filmés par la chaîne M6 en exclusivité)), "La discothèque idéale du disque compact, Jazz-Rock-Variété" de Flammarion, Batteur magazine (tous les numéros sont bons à lire), la "Méthode de tambour et caisse claire d'orchestre" de Robert Tourte et une analyse personnelle note par note (d'oreille et avec tentative de reproduction sur l'instrument) de parties de batterie et percussion de milliers d'oeuvres de référence (voir discographie, vidéographie et bibliographie sélectives notamment, dans la rubrique "Grands batteurs") glanées çà et là dans des magasins spécialisés (disquaires, librairies musicales) ou des bibliothèques de prêt en région parisienne et angevine (et aussi grâce à des échanges avec de nombreux mélomanes connaisseurs, pas toujours musiciens). Pour ceux qui désirent approfondir leurs connaissances historiques de la batterie moderne et de son contexte, je conseille la lecture de "Une histoire de la batterie de jazz" en trois tomes, de Georges Paczynski, pour sa foison documentaire impressionnante et rare, bien que je ne partage pas toujours les points de vue et analyses de l'auteur ainsi que ses choix d'oeuvres, et qu'elle soit naturellement très centrée sur le monde du jazz (avec une vision parfois un peu trop "classique" et "américano-centriste", à mon avis).
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